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Lyne

Étant l'heureux grand-père, depuis presque cinq mois, d'une adorable petite-fille, j'ai réuni ici la plupart des photos et vidéos que je possède, matériel personnel et oeuvre de ses parents (second montage). Le premier est une déclaration que je lui fais ; je l'ai rédigée le lendemain de ma première visite à la maternité genevoise dans laquelle elle a vu le jour. Un souvenir impérissable...

30 avril 2023 ____________________________________________________

LES ENFANTS…

… sont notre bien le plus précieux ! Leur regard est le reflet de l'innocence, le nid émouvant de la naïveté, l'expression la plus sincère de la fragilité. Dans cette vie de deux-tiers de siècle passés, et qui se prolonge, les miens, ou plutôt les miennes puisque ce sont des filles (suprême bonheur), représentent ce qui a compté le plus, la source presque unique de mes plus belles satisfactions. Elles ont, comme nul autre être vivant, accroché tant de sourires à ma face, déclenché tant de larmes dans mes yeux, sourires d'émerveillement sans cesse renouvelés, larmes de joie et de tant d'émotions ; celles du chagrin et du désespoir coulèrent plus tard, en visitant cette multitude de lieux de mise à mort, érigés en Europe par les chantres nazis d'un racisme intolérable, je constatais, horrifié, qu'ils n'avaient pas hésité un seul instant à inclure les enfants dans leur tâche barbare indigne du genre humain.

Mes filles ont été et sont toujours essentielles à l'équilibre, parfois précaire, de ce qui me tient debout et me fait avancer. Il y a quelques mois, l'aînée m'a offert le cadeau de tous les cadeaux : cette adorable petite fille, dans les veines de laquelle coule un peu de mon sang. Et je l'aime déjà autant que sa maman et que sa tante. Aujourd'hui, et plus que jamais, j'en suis toujours à me demander : mais que serais-je donc sans elles ? Et la réponse est toujours la même : rien d'autre qu'un oiseau sans ailes !

26 mars 2023 ___________________________________________________

Ma désespérance

Abimé, assommé, brisé, crevé, déchiré, dégouté, démoralisé, déprimé, désespéré, écœuré, écrasé, épuisé, éreinté, esquinté, exténué, fatigué, fissuré, harassé, lassé, usé, par un Monde affligeant, ahurissant, angoissant, atterrant, choquant, consternant, décadent, dégoûtant, dégradant, désespérant, désolant, effarant, effrayant, flippant, indécent, intolérant, oppressant, repoussant, répugnant, révoltant, je ne vis plus que pour quelque moment en compagnie de mes enfants, de ma petite-fille, d'un sourire de leur part et de quelques dernières personnes qui me sont chères, d'un instant d'humanité cinématographique, devenue tellement illusoire dans la vie réelle, de quelques heures dans la nature, appareil-photo en main, à cadrer l'une ou l'autre scène d'une vie animalière tellement plus enrichissante que celle qui est devenue celle des humains aujourd'hui. De mon reste de vie, je n'attends désormais plus rien d'autre que cela...

 

Je désespère de ce monde,
De ses agissements immondes,
Je désespère de l’humain
Et du sang recouvrant ses mains.

 

Je désespère de la haine
Coulant à grand flot dans les veines
De tous ceux qui, au nom de Dieu,
Crachent un discours insidieux.

 

Je désespère du futur
Et de ses funestes augures,
Je désespère de moi-même
Qui ne crois plus en mes "je t’aime".

 

Je désespère du bonheur,
De la justice et du respect ;
Je désespère de la paix,
Dont on a ruiné les valeurs.

 

Je désespère de l’Amour,
Mot fissuré de part en part
Et qui, las, ne fait plus rempart
A la douleur sombre des jours.

 

Je désespère de l’espoir,
De la foi et de l’espérance,
Du besoin essentiel d’y croire,
Du bon droit de ma tolérance.

 

Je désespère de la vie,
Que l’on vante et chante si belle.
Elle n’est que haine et querelles,
Elle est au malheur asservie.

 

Je ne crois plus en la colombe,
Porteuse immaculée d’espoir.
A chaque envol elle retombe,
Fauchée dans sa quête illusoire.

 

Mais si loin que ce désespoir
Puisse me porter dans la peine,
Je m’endormirai tous les soirs
En fermant mon cœur à la haine.

17  février 2023  __________________________________________________

Arbre généalogique de ma famille

Courchavon est un petit village du canton du Jura. Baigné par la rivière Allaine, il fait partie du district de Porrentruy (ville dont il est distant de quatre kilomètres) et de cette belle région que l'on nomme l'Ajoie. Voici ce qu'en dit le site web de la commune : "Courchavon occupe peu de place dans l’histoire. Il en est fait mention pour la première fois en 1279 dans un acte de vente en faveur de l’abbaye de Bellelay. Le village était dominé par un château appelé "Châtel-Vouhay", dont il ne reste plus aujourd’hui qu’un amoncellement de ruines, dans la forêt dominant le bourg. Le résidant du château, représentait le Prince-Evêque de Bâle. Son blason figure aujourd’hui encore les armoiries de la commune. La guerre de "Trente Ans" (1618-1648) fit d’énormes ravages dans le village : église et maisons pillées et incendiées, habitants massacrés. La moitié de la population disparut. En 1676, la peste noire décima à nouveau la population. La base de l’ancienne tour du clocher de de l'église (autour de laquelle est érigé le cimetière), domine Courchavon. Elle date du milieu du 13ème siècle." Le village de Mormont, situé à un peu plus d'un kilomètre à l'ouest, fait aujourd'hui partie de la même commune, qui compte un peu plus de 300 habitants. Né à Porrentruy, je suis originaire de Courchavon, village dans lequel j'ai résidé de 1954 à 1955, puis de 1962 à 1964. Pour la petite histoire, la maison dans laquelle habitaient mes grands-parents Joseph et Marie est la plus proche des ruines de Chatel-Vouhay. Je me souviens d'y être allé plusieurs fois, entre 1962 et 1964, dans l'espoir d'y découvrir une hypothétique relique de l'époque. En vain, car les restes du château n'étaient qu'un immense amas de pierres.

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Dans les années 1970 ou 80, l'un de mes oncles, frère de mon père, désire effectuer des recherches sur l'origine de notre famille. Interrogeant, entre autres, l'État-civil et le registre de la paroisse de Courchavon, notre commune d'origine, il parvient à obtenir un dossier assez consistant : huit générations y figurent, avec une filiation directe très détaillée. La liste s'arrête à la mienne (frères- sœurs, cousins et cousines compris(e)s). Ainsi donc, on apprend que notre plus ancien aïeul connu se nomme Henri Béchir, né le 3 avril 1743, et donc originaire de Courchavon. Les mariages, et les naissances en découlant y sont également répertoriés, sans certitude quant au nombre exact d'enfants nés de ces unions. Reprenant le dossier il y quelques temps, grâce à Internet je suis parvenu à ajouter deux générations, celle du père et celle du grand-père d'Henri. Ainsi, notre premier aïeul connu se prénommait Joseph, et il est né en 1669, sans plus de précision ; le deuxième, né en 1711, s'appelait Jean.  Avec l'ajout de celles qui me suivent (filles et petite-fille), on arrive donc à un total de douze générations répertoriées, avec une famille originaire de Courchavon depuis au moins 354 ans. Pas mal, finalement…

 

Dans cet arbre généalogique, on remarque plusieurs choses :

- 61 noms y sont inscrits, 39 masculins et 22 féminins. Et (relation de cause à effet) entre la lignée de Gustave (mon arrière-grand-père) et celle de Marcel (mon père), on compte 20 naissances (dix-neuf garçons et une seule fille !) Ou encore, entre le 27 février 1855 et le 8 janvier 1937 (82 années), aucune fille n'a vu le jour dans ma famille. De là à affirmer que je proviens de plusieurs lignées de machos, il n'y a qu'un pas. Que je franchis allègrement…

- Dans la 5ème génération connue, figure un trou béant. Parce que mon arrière, arrière, arrière-grand-mère Marguerite, s'est faite engrosser deux fois par un inconnu, lequel n'a donc pas laissé la moindre trace de son patronyme, l'enfoiré ! (Peut-être même qu'ils étaient deux...)

- Et ce dernier point me pose un problème, parce que mon véritable nom de famille n'est pas celui que je porte depuis 68 ans ! Idem pour tous les quadrupèdes assis sur les branches du cocotier généa(i)logique ayant cette sacrée Marguerite comme ancêtre responsable de cet état de fait. Qui sait si, en fait, nous ne nous appellerions pas tous Crétin, Bâatard ou Pourchier (tous trois existants). Ça me rassure à peine…

 

Quelques repères historiques : Joseph et Jean sont nés durant le règne de Louis XIV. Si l'on se réfère à l'historique de la commune, on remarque que le premier a subi (sans y laisser sa peau), les ravages de la peste noire, et qu'il avait 7 ans au moment de l'épidémie. Henri est né dix jours avant Thomas Jefferson, 3ème président des Etats-Unis (1801-1809), et principal rédacteur de la Déclaration d'Indépendance du pays (1776). Quant à Ignace, il a vu le jour alors que l'Ajoie, et donc Courchavon, faisaient partie du département français du Mont-Terrible, dont Porrentruy en était le chef-lieu. Ayant été en vigueur de 1792 et 1806, à cette époque c'est le calendrier républicain qui régissait les dates dans le pays ; Ignace est donc né le 11 frimaire de l'an VI, correspondant au 1er décembre 1797. A noter que le département en question (créé en 1793) sera supprimé en 1800, et le territoire intégré à celui du Haut-Rhin jusqu'en 1815, lorsque le Congrès de Vienne attribuera la région au canton de Berne. Ainsi donc, les trois membres de la 4ème génération connue sont nés français, ce qui réjouit l'ardent défenseur de la culture francophone qui est la mienne, et que je revendiquerai toujours avec force.

 

Pour ce qui est du patronyme, le site web "geneanet.org" fait état de 3383 entrées dans sa base de données. 1879 sont originaires ou nées en France, et 665 en Suisse. La commune française la plus représentée (179 noms) est Villars-le-Sec (Territoire de Belfort), distante de 500 mètres de la frontière suisse ; Courchavon/Mormont, située à 3,5 kilomètres du même point de frontière, détient le record suisse avec 320 personnes. Mon aïeul Joseph, né en 1669, est titulaire de la plus ancienne date de naissance figurant dans les registres du site. 

Dernière constatation : n'ayant pas de descendance masculine, pour moi cet arbre généalogique (au nom de Béchir) va s'arrêter là. Ça n'est pas un problème, car j'ai été et suis toujours très heureux d'être le papa de deux adorables filles.

Pour ce qui est du blason familial, lui aussi a été déniché par mon oncle Fernand, Henri, dernier enfant de la 9ème lignée sur l'arbre généalogique ; mais j'ignore d'où il provient et s'il est vraiment conforme à la réalité. Enfin, une recherche sur local.ch, site des pages blanches suisses de l'annuaire, n'indique plus aujourd'hui le moindre Béchir résidant dans la commune de Courchavon, du moins pour ce qui est de posséder un téléphone fixe. Seules deux femmes portant ce patronyme à leur naissance (dont une de mes cousines, Michèle, fille de Gérard, deuxième enfant de la 9ème génération) y figurent encore. Actuellement, au niveau des plus anciens survivants mâles de ces 12 générations, je me trouve en deuxième position, derrière mon oncle Fernand Henri (il utilise son second prénom), auteur donc des recherches initiales concernant notre arbre généalogique. Mon frère Pierre est le suivant, et son fils Daniel l'ultime. Papa d'une petite fille prénommée Anaïs, s'il n'a pas d'autre enfant, et donc de garçon, la lignée sera définitivement éteinte (au niveau de notre nom de famille à la naissance)...

16 janvier 2023 __________________________________________________

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Deux extraits du registre de l'Etat-civil de Courchavon. Ils concernent la 3ème, la 5ème et 6ème génération. On y trouve donc la preuve que Béchir n'est pas mon véritable nom de famille...

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Courchavon, un joli petit village campagnard. C'est à l'arrière de l'église, plus précisément dans la sacristie, que durant l'été 1963, une ordure de curé pédophile (non titulaire de la paroisse) se livrait sur ma personne à un attentat d'ordre sexuel. A l'époque j'avais 9 ans. M'étant tû pendant 40 ans, je dénoncerai cette ignominie cléricale (qui sévit toujours aujoud'hui), jusqu'au dernier de mes jours...

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L'Allaine, petite rivière au cours tranquille, dans laquelle j'ai appris à pêcher en 1962-63. (Activité que je n'ai plus jamais exercée.)

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La maison dans laquelle j'ai passé la première année de ma vie.

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La villa de mes grands-parents Marie et Joseph. Au dessus d'elle, la forêt dans laquelle se trouvent les ruines du château "Castel-Vouhay". Aujourd'hui, cette petite maison est encore habitée par ma cousine Michèle (fille de Gérard / 1931-2009), mon ultime lien familial avec Courchavon.

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La tour de l'ancienne église, entourée par le cimetière.

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La tombe de Marie et de Joseph, que j'aimais tant. Elle y repose depuis 1970, lui depuis 1973. Malheureusement, lors de ma dernière visite (2018, je crois), j'ai constaté qu'elle avait été rasée, comme celle de mon grand-oncle Antoine (1902-1981), située un peu plus haut. J'en ignore la raison, mais ça m'a rendu très triste...

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Mes "Marie et Joseph" à moi…

Comme ils sont loin les Noëls de mon enfance. A l'époque, au niveau relations familiales, c'était mon meilleur moment de l'année. Mes grands-parents paternels passaient toujours ces Fêtes chez nous et chez le frère de mon père. Elle s'appelait Marie, lui Joseph. Je les adorais tous les deux, et ils représentaient une réelle bouffée de chaleur dans mon univers si froid. Devant le sapin, paré de vraies bougies, flottait une odeur de cire que je n'ai jamais oubliée. Et lorsqu'il m'arrive aujourd'hui d'en allumer une, souvent je vois dans l'ardeur de sa flamme leurs visages qui me sourient ; grand-maman surtout, dont je ne me souviens pas de l'avoir vu une seule fois afficher autre chose qu'un sourire en me regardant. Dans la pièce servant de salon et de salle à manger, c'est là que le sapin était installé. Assise à proximité immédiate de celui-ci, elle était là, mains jointes, rassurante, les yeux débordant de tendresse pour ses petits-enfants. Grand-père était un peu plus loin, au bout de la table, tirant sur une cigarette dont les volutes de fumée formaient des cercles volatiles et argentés qui, se lovant entre eux, lentement s'élevaient vers le plafond. Je me sentais si bien en leur compagnie, que j'en oubliais presque mon impatience d'ouvrir les cadeaux. Ces Fêtes traditionnelles m'ont bercé de douces émotions, et le souvenir que j'en garde est la preuve que mon enfance fut par (de rares) moments heureuse.

Hélas, le 2 ou le 3 janvier 1970, de Cortaillod où nous habitions, mon père reconduit ses parents chez eux, à Courchavon, notre village d'origine (Jura). En route, non loin de La Chaux-de-Fonds, grand-mère ressent une douleur vive dans le bras gauche. Ça semble sérieux, et mon père se dirige rapidement vers l'hôpital de la ville. Bonne réaction, sa maman est en train de faire un infarctus. Les médecins la soignent, puis la gardent jusqu'à la fin du mois à titre préventif. Le 30 janvier, alors qu'elle est sur le point d'être libérée par l'établissement, elle subit une nouvelle crise cardiaque. Le corps médical demeure impuissant, et ma grand-maman décède rapidement. Elle n'avait que 63 ans. Trois jours plus tard, par un froid de canard, et au moment de déposer le corps de sa femme en terre, je revois encore son homme, mon grand-père Joseph, fou de douleur, cacher de sa main ses yeux remplis de larmes. Et pour ce qui me concerne, j'assiste aussi à un événement qui me trouble et me surprend beaucoup, une image que je croyais alors totalement illusoire : les larmes de mon propre père, pleurant discrètement le décès et l'ensevelissement de sa maman.

Alcoolique depuis longtemps, Joseph ne survivra à sa femme que trois petites années. Il décède à son tour le 7 février 1973, à l'âge de 65 ans et demi, d'une cirrhose du foie. Durant mon enfance, et jusqu'à sa mort, j'ai toujours pensé que cet homme était infiniment plus gentil que son fils à mon égard. Je me souviens de l'été 1967, lorsque lui, Marie et mes parents étions partis en Toscane pour une huitaine de jours. Ce fut la seule et unique fois que mes géniteurs m'emmenèrent en vacances avec eux. Tous les jours, Joseph et moi allions déjeuner dans un café de Torre del Lago-Puccini. Si j'avais droit au classique chocolat chaud et croissants, lui entamait sa journée par une bière bien fraîche, accompagnée d'un cognac. Après avoir avalé deux gorgées de la première, il vidait le second dans son verre. A neuf heures du matin… J'avais 13 ans, j'ignorais tout de la vie qu'il menait. C'est bien plus tard, et plusieurs années après sa mort que j'ai appris quel homme il était réellement : alcoolique, égoïste et incorrigible, qui dépensait la plus grande partie de son salaire de maçon dans les deux bistros de Courchavon, "La Couronne" et "Les trois Poissons". Ivre tous les soirs en rentrant chez lui, il ne laissait à sa femme que des clopinettes. J'ignore comment ma pauvre grand-maman, si gentille, si douce et (trop) silencieuse, faisait pour tenir son ménage jusqu'à la fin de chaque mois, mais je suis certain que ce fut une des raisons pour lesquelles elle est partie si jeune.

Finalement, je suis heureux de n'avoir appris cela qu'après le décès de son mari. Parce qu'avec moi, et me semble-t-il, avec ses autres petits enfants (dont mon frère et mes deux sœurs), il était d'une gentillesse absolue. Tout petit, j'adorais le voir me faire des grimaces, ses pitreries, et jouer avec son dentier pour me faire rigoler. Tous deux sont nés en septembre, 1906 pour elle, un an plus tard pour lui. Et, bizarrerie très courante chez les hommes plus ou moins âgés de cette époque : il roulait les "r", particularité que je n'ai jamais comprise. Dès ce soir, et pour quelques jours, je penserai très fort à eux…

24 décembre 2022 ____________________________________________________

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LYNE (Loving You Never Ending)

Au moment de frapper à la porte d'entrée de ta chambre, j'ai le cœur qui se la joue "roulez tambours". Je me sens transporté trente-deux ans plus tôt, lorsque ta maman n'en était encore qu'à son premier jour de vie, dans une autre maternité, mais dans un décor pas très différent. Faire la connaissance de ma petite-fille, comme je découvrais ma fille aînée (puis seize mois plus tard sa sœur), représente pour moi la même émotion. Encore décuplée par la similitude de votre apparence, notamment par la même couleur d'yeux et de cheveux. Sous le regard attendri de ta cavalière de maman, ton solide maréchal-ferrant de papa te tient dans ses bras : là où tu n'as et n'auras jamais rien à craindre ! Je te dis bonjour en caressant tes cheveux et tes mains minuscules, encore un peu fripées ; l'ongle de ton auriculaire ne doit pas dépasser deux ou trois millimètres de largeur. Pourquoi cette remarque me frappe-t-elle, alors que je ne me souviens pas qu'elle me soit venue à l'esprit en 1990. Peut-être parce que j'ai changé. Mais pas que moi, mille autres choses aussi. Conséquence de cela, je sens soudain la réalité me rattraper, le temps s'amonceler, les années défiler, ma jeunesse s'en aller (ça, c'est déjà loin d'être nouveau !) et le vieillissement accomplir son lent travail de sape (physique). Je suis devenu grand-père sans avoir rien vu venir. Mais mon cœur, me semble-t-il, est resté le même : débordant d'amour pour tout ce, ceux et toutes celles qui méritent d'être aimé(e)s. Et, à l'entame de ton deuxième jour de vie sur cette planète, Lyne, dans ton émouvante innocence, dans ta dépendance inévitable de tes heureux parents, tu en fais partie. Sans le savoir, tu goûtes déjà à la première et seconde chance de ton existence : naître en bonne santé, dans un pays de paix et de liberté. Deux bonnes étoiles qui appellent autant de vœux de ma part : que cela continue et persiste jusqu'au dernier jour (très lointain) de ta vie, et que tes parents, ta famille, mettent tout en œuvre pour qu'il en soit ainsi. De cela, je n'éprouve pas le moindre doute, et je me ferai une joie de répondre présent si je suis mis à contribution. Belle et longue vie à toi, adorable Lyne, ma déjà très aimée première petite-fille. Et félicitations à tes heureux parents, qui viennent d'accomplir le premier chef-d'œuvre de leur vie de couple…

 

Après cette enthousiasmante visite, le retour chez moi a baissé de plus d'un ton. J'ai eu tout loisir de réfléchir, de constater que l'état du monde dans lequel tu viens d'arriver est très loin d'être idéal. La faute à cette folie consommatrice, à cette croissance à tout prix qui en sont devenues les effarantes règles. Et, si je suis fier d'être ton grand-père, heureux que tu sois ma petite-fille, pas question de me soustraire à ma part personnelle de responsabilité dans cet état de fait. Toi, les enfants, les jeunes d'aujourd'hui, êtes l'avenir de la planète, j'en suis persuadé. Mais de constater ce que nous, les vieux, allons vous laisser, m'a rendu, tout au long de mon retour chez moi, triste et mal à l'aise. Pardon pour cela, ma petite Lyne...

6 décembre 2022 _________________________________________________

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La Famille, valeur essentielle 

Le plus vieux souvenir de ma vie remonte au mois de septembre 1957. J'ai trois ans et demi et, incrédule et inquiet, j'observe ma mère extirper un mouchoir de son sac à main, et de le porter à son visage afin d'éponger ses larmes. Dans le cabinet médical, le docteur vient de lui annoncer que je suis atteint de poliomyélite. Une semaine d'hôpital succède à cette terrible nouvelle. Je la vis très mal. Au point que, lorsque ma mère me quitte après chaque visite, les infirmières sont contraintes de m'attacher à mon lit, tant je pleure, crie, gesticule et me débat. Soixante-deux ans plus tard, le jour de Pâques 2019, elle prend congé de la vie, à l'âge de 90 ans et demi. Pas inattendue, cette échéance ne me tire pas la moindre larme. C'est en la voyant une dernière fois, allongée pour l'éternité dans son cercueil, qu'elles ont jailli. Tout simplement parce que j'ai réalisé, à ce moment-là, qu'elle ne demanderait jamais pardon à ses enfants.

A mes yeux, ma famille, celle de ma naissance et jusqu'à ce que je fonde à mon tour la mienne avec l'arrivée de mes filles, n'en a jamais été vraiment une digne de ce nom. Un père violent, frappant ses fils comme un malade, et rabaissant ses filles au simple rang de bouches à nourrir. Sous le joug de ce dresseur de chatons inoffensifs, nul droit de contester, de contredire, d'émettre la moindre objection. En réponse à ces possibles outrages, la seule phrase que l'on se prenait en pleine poire se résumait à : "Tu n'es qu'un gamin, tu n'as pas droit à la parole, tu pourras causer lorsque tu rapporteras du fric à la maison !" Dans le ménage, c'est clairement lui qui portait la culotte. En face, une mère passive, immobile, silencieuse, dévouée à son homme. Pire encore : les bêtises que mon frère et moi commettions avaient lieu durant la journée, alors que le vieux trimait au volant de son camion. Elle était donc la première à les apprendre. Mais elle ne nous punissait pas. Le regard méchant, elle n'avait qu'une seule phrase à nous lancer : "Attends seulement ton père, ce soir"… Devant ce terrible augure, l'attente du retour du sadique était presque aussi douloureuse que la correction. Assistant à celle-ci dès l'arrivée de son homme, et n'ayant jamais cessé de nous dénoncer, je la considère aujourd'hui comme complice de cette éducation à la sauvage. Dans le monde moderne qui est le nôtre, cette complicité pourrait se résumer à une non-assistance à personnes (ses propres enfants) en danger…

Je suis passionné de cinéma. Les films montrant une séquence dans laquelle un fils et sa mère s'étreignent avec amour et tendresse me mettent terriblement mal à l'aise. Parce que je ne possède pas le moindre souvenir d'une telle situation s'appliquant à moi. Et cela d'aussi loin que je me souvienne. Et puis, les vacances en famille sont une chose à laquelle nous n'avons pas eu droit. Chaque été, mes géniteurs mettaient pourtant le cap sur l'Italie (Toscane ou Vénétie), pour une semaine ou dix jours. Mais ils partaient en compagnie de mes grands-parents paternels, du frère de mon père et de sa femme. Un voyage à six adultes, alors que nous, les mioches, étions envoyés chez les membres restants de la grande famille (seconde grand-mère, oncles et tantes). Une fois, une seule, chacun(e) de nous, à tour de rôle, eut droit au voyage, entre 1966 et 1969. C'est ainsi que j'ai découvert la Méditerranée, Pise et l'île d'Elbe, en août 1967. Un souvenir extraordinaire, d'abord parce qu'il fut effectué en compagnie de ma cousine Michèle, et ensuite parce que j'adorais mes grands-parents Joseph et Marie. Quatre ans plus tard, cette dernière étant décédée, mes vieux décident enfin d'effectuer un voyage avec tous leurs gosses : destination Paris, pour quatre petites journées, dont deux passées dans la voiture. C'est là tout ce qu'il me reste de ces "vacances en famille", sources chez la plupart des enfants de très bons souvenirs.

 

C'est dire si, en 1975, à l'âge de 21 ans, ce fut une joie pour moi de quitter ce "cocon familial", ridicule d'inconsistance, pour aller m'installer à 120 kilomètres du domicile familial. Cette liberté fut une joie, un soulagement, mais un calvaire aussi. Parce qu'après une quinzaine d'années à subir une éducation digne du Moyen-Âge, à être rabaissé, humilié, traité comme un ver de terre, je me suis retrouvé frappé, dans tous les domaines de la vie, d'une timidité maladive, extrêmement douloureuse. Lorsque l'on se considère personnellement comme un moins que rien, comment s'affirmer auprès des autres ? Il faut vivre cette expérience (que je ne souhaite à personne) pour comprendre ce qu'elle représente. Un jour, ma petite sœur m'a confié qu'elle ne considérait pas notre paternel comme un père, mais plutôt comme un tuteur. "Je ne me souviens pas qu'il m'ait un jour prise sur ses genoux", a-t-elle ajouté.

Les liens familiaux forts et indestructibles ont ainsi toujours constitué un sentiment abstrait pour moi. Jusqu'en 1990, puis 1992, années ayant vu la naissance de mes filles. Hélas, cette valeur nouvelle, enthousiasmante, magnifique, synonyme d'un total bonheur, n'a duré que onze ans, après quoi le divorce est arrivé. Durant cette période, rien n'a été entrepris pour que les liens avec ma famille de naissance deviennent dignes de ce nom. C'était trop tard ! De plus, ni mon père, ni ma mère, bourrés de préjugés néfastes, n'ont jamais apprécié celle qui était devenue ma femme. Au moment de mon divorce, ma génitrice a eu pour seule réaction de me jeter à la figure : "Ce n'était pas une femme pour toi !" Aucun mot, aucune allusion à ses petites-filles, principales victimes de cette séparation. A gerber !

Le 14 avril 2002, ils fêtent leurs noces d'or. A cette occasion, lui prend la parole devant toute la famille (ses enfants, leurs conjoint(e)s, ses petits-enfants), pour se livrer à une demande de pardon concernant la violence dont il a usé dans l'éducation de ses fils. Mon frère et moi sommes sur le cul ! Jamais je n'aurais cru ça possible, tant cet homme était borné, intolérant, égoïste et fier de lui. A la réflexion, je pense que sa femme fut sans doute à l'origine de cette incroyable déclaration. Ainsi se délivrait-elle peut-être de sa propre responsabilité dans l'élevage (oui, élevage, et non pas éducation) de ses enfants. J'ai accédé à la demande de mon père, je lui ai pardonné. Sincèrement ! Mais, à l'âge de 48 ans (lui en avait 74) comment pouvais-je espérer tisser un sentiment fort avec lui ? Une fois encore, c'était trop tard.

 

Il y a quelques jours, ma fille aînée s'est mariée. Son époux, mon gendre, est un type bien, un homme gentil que j'apprécie beaucoup. Sa propre famille semble très unie, qualité naturelle, dit-on, des Italiens constituant son origine. Je suis heureux pour elle, et pour l'enfant auquel elle donnera le jour dans quelques semaines. Pour son mariage, elle a abandonné mon nom, au seul profit de celui de son mari. Je n'en ai pas ressenti la moindre gêne, la moindre frustration. Tout simplement parce que, pour longtemps, trop longtemps, j'ai porté et subi un nom de famille dont je peux en aucun cas être fier qu'il ait été (et soit toujours) le mien.

Mon père est mort il y a six ans. Depuis ce 3 novembre 2016, une seule fois je me suis rendu sur sa tombe. Là, je n'ai rien ressenti, ni son âme qui aurait pu me frôler, ni le parfum des volutes de fumée s'échappant des médiocres cigares qu'il consommait. Depuis le 24 avril 2019, ma mère repose dans le même cimetière. Après son ensevelissement, l'athée et l'apostat que je suis n'est jamais retourné la voir, persuadé que, en qualité de catholique intégriste, son âme est ailleurs, loin, très loin, dans une église ou une cathédrale, flottant entre autel et tabernacle, entre bible et missel, entre ostensoir et goupillon, entre calice et burettes, auprès d'un curé (peut-être pédophile, tel celui qui m'a sexuellement agressé en 1963), d'un évêque, d'un cardinal, ou du pape lui-même…

Aujourd'hui, je ne peux que déplorer les liens fragiles existant entre mes sœurs, mon frère et moi. La violence verbale et physique subie n'a jamais rien fait pour que nous nous serrions les coudes. Et j'ignore pourquoi. Nous ne nous sommes jamais considérés comme des enfants ayant été élevés dans une famille et par des parents dignes de ce nom. Un manque personnel aujourd'hui comblé par la seule présence et proximité de mes filles, de leur mari et compagnon, et du bonheur que me procurera la naissance de ma petite-fille ou de mon petit-fils en décembre prochain. C'est là la seule définition que je puis accorder à l'amour indispensable à l'union d'une famille. Et ce n'est finalement que ce qui me tient encore debout aujourd'hui.

A la fin de l'apéro-dinatoire ayant succédé à la cérémonie du mariage cité plus haut, les parents de mon gendre se sont livrés, l'un après l'autre, à un speech drôle et émouvant destiné à mettre en valeur leur fils, et le bonheur qu'ils attendaient de son union avec ma fille. Moi, je n'ai rien dit. Je n'ai rien préparé. Je n'y ai tout simplement pas pensé. Peut-être parce que je n'ai jamais vu ça dans aucun des mariages auxquels j'ai assisté dans ma famille de naissance, au sens large du terme. Pourtant dieu sait si j'aime mes filles et les admire pour tout ce qu'elles m'apportent. J'aurais dû, et je pense su quoi dire à l'aînée, l'autre soir. Au lieu de cela, rien, le néant, le vide absolu ! Et toute la honte allant avec. A 68 balais, faire ce genre de constatation a quelque-chose d'effarant. Parce qu'il me reste tellement peu de temps pour tenter de combler ce vide, de guérir cette blessure…

 

Comme mentionné plus haut, j'ai moi aussi été la victime d'un cureton pédophile. C'était en 1963, dans la sacristie de l'église de mon village d'origine. Ce traumatisme, je l'ai gardé pour moi, refusant d'en parler à des parents qui, j'en étais certain, ne m'auraient pas cru, pire, m'auraient puni pour un si vilain mensonge. Ce mutisme total a duré 40 ans. Je l'ai rompu après avoir été pris à partie par ma mère, choquée par un article publié dans la rubrique "Courrier des lecteurs" d'un journal local en 2002. Dans ce texte, je remettais en cause l'existence de Dieu, coupable à mes yeux d'avoir laissé périr 26 écoliers et écolières, dans un tremblement de Terre en Italie. Devant ma confession, elle et son homme sont demeurés silencieux, à distance, froids comme des portes d'église. Dès lors aucun des deux ne m'a plus jamais reparlé de cet "incident". Aujourd'hui, j'en suis encore à me demander si ma mère m'a cru. Elle qui, quelques années plus tard et en me fixant droit dans les yeux, a eu l'outrecuidance d'affirmer que le catholicisme était la seule religion légitime sur cette planète…

Combien de fois ai-je entendu des enfants adultes dire qu'il fallait pardonner à nos parents, qu'ils étaient de bonne foi, qu'ils avaient fait ce qu'ils avaient pu avec ce dont ils disposaient pour nous élever. Cette affirmation gratuite me ferait rire si elle n'était pas aussi méprisante pour celles et ceux qui, blessés, meurtris pour la vie, ont tant subi. Le pardon, c'est quelque-chose que j'a accordé à mon père pour sa violence, les coups répétés assénés à ma tête, mais pas pour les conséquences qui en ont découlé pour le reste de ma vie. Quant au pédophile ensoutané, j'espère bien qu'il a brûlé jusqu'au dernier poil de sa misérable bite, en enfer ou dans le plus anonyme des crématoires. Le cœur est une éponge. Une éponge qui, tout au long d'une vie, l'on ne peut essorer. Si le sang qui le traverse est toujours purifié par l'organisme, ce qui est inscrit sur ses parois, ses ventricules, demeure indélébile. Et il faut bien faire avec…

Mais que l'on ne s'y trompe pas. Tout ce que j'ai écrit dans ce quadruple post ne l'a pas été pour que l'on me plaigne. Je ne ressens pas le moindre besoin de compassion, d'empathie ou de pitié. A l'âge qui est le mien, de tout ce que j'ai vécu et appris de la vie, je n'ai envie de garder qu'une chose : l'injustice que représente la naissance, et l'endroit où l'on se trouve à ce moment-là. Ainsi, l'enfance de celles et ceux qui se déroule au sein d'une guerre, de la misère, de la famine, de la violence sous toutes ses formes est intolérable. C'est pour cette unique raison qu'aujourd'hui, après 68 années d'existence, fatigué, j'en veux pas mal à une vie qui, tout de même, m'a fait les deux plus beaux cadeaux que je pouvais espérer d'elle : deux filles magnifiques, que je ne cesserai jamais d'aimer. Ma famille, c'est elles et leur entourage, un monde restreint mais indispensable pour ne pas sombrer définitivement…

8 octobre 2022 _______________ ___________________________________

Mariage de Maeva et Lucas

Jeudi 6 octobre 2022. Journée magnifique, douce et ensoleillée. A 16 heures, au Château de Rolle, bordant un Léman alangui dans sa réconfortante platitude, ma fille aînée Maeva et son fiancé Lucas unissent leur destinée. Moments de joie, de rires, mais aussi de grande émotion. La mariée est belle, magnifique, resplendissante et, accessoirement, enceinte jusqu'aux amigdales. Lucas, le marié, désormais officiellement mon gendre, mérite les mêmes qualificatifs, mais sa grossesse à lui ne se voit pas, même s'il la vit intensément au travers de celle qui va, dans deux mois, lui donner son premier enfant. Leur premier enfant ! Ma première petite-fille ou mon premier petit-fils...

Première de deux journées mémorables pour eux, dans ces trois ultimes mois d'une année calamiteuse, et dans un monde qui, depuis longtemps, a banni les mots "trêve" et "paix" de son vocabulaire. Mais il n'y a pas là raison de perdre espoir. La paix est absente de cette planète depuis trop de temps pour ne pas frétiller à l'idée de revenir un jour. Et je crois fermement que les jeunes, au gré de leurs unions, de leur amour, de leur don de la vie, et de leur immense lassitude d'un monde politique très majoritairement patriarcal, machiste, vétuste, et ayant largement fait son temps, finiront par (re)faire de ce monde un endroit de l'univers où il fait bon vivre.

Au point où se situe mon âge, je ne vivrai pas ce temps-là. Mais ma descendance étant assurée, j'ai bon espoir qu'elle participera à un effort commun allant dans ce sens. Raison pour laquelle cette union et ce petit bébé à venir marqueront aussi les deux meilleurs moments de l'année pour l'humain désabusé que je suis devenu en découvrant, jour après jour, les nouvelles effarantes d'un monde qui ne tourne vraiment plus très rond. 

Vive l'Amour, vive l'Union des êtres et des peuples ! Et vivent les Enfants à venir (et que nous avons toutes et tous été), symboles d'innocence, de naïveté salutaire et du bonheur qu'ils mettent dans les yeux de leurs parents et de leurs familles. 

6 octobre 2022 __________________________________________________

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Ma fille cadette, cette (presque) inconnue...

Depuis son grave accident du 10 août dernier, elle a séjourné trois semaines à l'Inselspital de Berne, et se trouve depuis 15 jours à la Clinique romande de réadaptation (CRR), située dans l'enceinte de l'hôpital cantonal de Sion. En 40 jours donc, je lui ai rendu 23 fois visite. En Valais, j'en profite pour combiner mes visites (sur deux ou trois jours) avec des excursions touristiques dans ce magnifique canton. Au programme écoulé : Derborence, col de la Gemmi et son Daubensee, col du Sanetsch, Lötschental pour les vallées du nord. Les barrages (et leurs lacs) de Mattmark, Moiry, Grande-Dixence, Emosson pour le sud et l'ouest, Fondation Gianadda. Je connaissais déjà Zermatt et son fabuleux panorama, et j'ai découvert Saas-Fee, avec sa vue grandiose sur les sommets et glaciers qui l'entourent. Tout ça sous un soleil très majoritairement resplendissant. Deux semaines magnifiques de tourisme, qui risquent de se prolonger, étant donné que ma fille en a encore pour un mois minimum (et sans doute plus) avant d'envisager un retour chez elle.

En montagne, si proche de la nature, je suis comme la météo : je resplendis (sauf lorsque je constate à quel rythme fondent les glaciers). Auprès de ma fille, j'éprouve une joie profonde à m'occuper d'elle, à pousser son fauteuil roulant, à l'assister dans son transfert fauteuil-siège de voiture, et de passer ainsi du temps en sa compagnie. On parle de tout et de rien, de son traumatisme encore bien présent, de sa convalescence, de son hypothétique remise en selle. On partage notre temps, à la clinique, dehors ou au restaurant, devant un café, un verre ou un repas. Et j'ai ainsi l'impression de la découvrir. Parce que, depuis ses neuf ans et pendant dix années, je ne l'ai pas beaucoup vue, tout comme sa sœur. Divorce oblige. Son adolescence, leur adolescence, demeurent pour moi tel un grand mystère. Et surtout, ce fut une privation extrêmement douloureuse en ce qui me concerne. Aucune mère, divorcée et ayant ses enfants auprès d'elle, ne peut imaginer ce que cela représente pour un père d'en être privé. Je hais viscéralement l'idée (encore très répandue dans les jugements de divorce) qu'une femme est plus apte qu'un homme à s'occuper de sa progéniture en bas âge. Et pourquoi pas à les aimer, tant qu'on y est ?...

Alors, malgré les phases de profonde tristesse (surtout au début) quant au sort de ma fille depuis son accident, chaque visite que je lui rends représente pour moi un intense moment de bonheur. Je m'en délecte à chaque seconde, et je sais que ces heures-là (Altzheimer m'en préserve !) resteront gravées dans ma mémoire et dans mon cœur jusqu'à la fin de mes jours.

Hier, après une séance de radiographies de contrôle, son médecin lui a donné l'autorisation de se mettre debout et de recommencer à marcher (avec des cannes, car sa jambe droite est toujours plâtrée). Quel bonheur pour elle, et quelle joie pour moi !

21 septembre 2021 ________________________________________________

54 heures en Valais

Le lundi 30 août, ma fille a été transférée à la Clinique Romande de Réadaptation (CRR), voisine de l'hôpital cantonal de Sion. Pour un séjour d'une durée inconnue, mais se situant sans doute entre 30 et 90 jours. Loin de sa mère (145 km) et de son compagnon (160), je suis le moins éloigné d'elle (105 km). En plus, tous travaillent, alors que je vis une retraite dans laquelle je suis bien loin de m'ennuyer. J'ai donc décidé d'aller régulièrement la voir, comme je l'ai fait dès son accident. Les visites étant limitées (13h-19h), j'ai décidé de passer deux jours sur place (hôtel), et d'agrémenter mon séjour d'excursions dans ce Valais que je connais assez bien. Au programme : Derborence, Lac de Moiry et Col de la Gemmi/Daubensee. Météo parfaite et touristes pas excessivement nombreux, ces deux pleines journées m'ont enchanté.

Les soins apportés à ma fille cadette se terminant en milieu d'après-midi, j'ai donc eu loisir de lui rendre visite avant son repas du soir, débutant à 17h30 ou 18heures. Trois semaines après son terrible accident, elle a repris du poil de la bête. Grand contraste après les premières journées, physiquement et moralement très éprouvantes pour elle. Hier donc, lors de ma 3ème visite, nous sommes allés faire une petite balade ensemble, elle sur son fauteuil roulant (elle doit encore patienter 3 semaines avant de pouvoir poser son pied et sa jambe valides par terre), et moi la poussant sur le chemin.

Instants de bonheur pour un père qui s'est vu rattraper un peu (un tout petit peu), les heures, les jours, les mois et les années durant lesquels elle et sa sœur m'ont échappé, étant privé de leur présence en raison des circonstances relatives à un divorce que j'ai, sur ce plan-là, très mal vécu. Si j'ai adoré mon périple de 54 heures dans ce magnifique Valais, les quelques dizaines de minutes quotidiennes passées en compagnie de Céline m'ont, bien plus encore, fait un bien fou, un bien que je ne pensais plus pouvoir connaître tout au long des longues années me séparant du jour où mes filles et moi terminions nos dernières vacances passées ensemble. C'était à Paris, en juillet 2008.

Les choses évoluent donc de façon positive pour sa rééducation physique. Mentalement, elle commence à évoquer une possible remise en selle, mais sans doute pas avant l'an prochain, si tout se passe bien. Quant à moi, habitué à la voir monter en concours, l'accident m'a très sérieusement ébranlé, voire refroidi, au point que je suis incapable (pour l'instant) d'envisager un retour autour des paddocks. Que ce soit pour assister à des épreuves montées par elle, autant que par sa sœur…

4 septembre 2021 ________________________________________________

Quand le pire se produit...

 Le 25 août prochain, cela fera 20 ans que je suis mes filles dans leurs épreuves d'équitation/saut d'obstacles. Mises en selle par leur mère dès leur plus tendre enfance, elles sont aujourd'hui toutes deux professionnelles dans ce sport qu'elles adorent. Les chevaux, c'est leur vie et leur passion. Ce qui n'est pas mon cas. J'aime beaucoup ces équidés, mais je me sens très peu à l'aise sur leur dos. Pourtant, lorsque j'avais 6-7 ans (tout début des années 60), un paysan de mon village utilisant encore un cheval pour tirer son char chargé de foin, de paille, de patates ou betteraves, m'emmenait parfois avec lui et sa famille. Et souvent m'installait à crû sur l'animal. Agrippé à sa crinière, j'adorais me faire balader ainsi. Mais, sans que je sache pourquoi, ça n'a pas duré…

Si ma fille aînée est à son compte et monte ses propres chevaux, la cadette monte ceux d'un ancien grand cavalier, aujourd'hui engagé dans le commerce de ces animaux de concours. Depuis plusieurs années, grâce au site web de la Fédération suisse des sports équestres (FSSE), je tiens le compte des épreuves qu'elles disputent. A ce jour, elles en sont à près de 2'000 (parcours, et non pas concours), à raison de 1/3 pour l'aînée et 2/3 pour la cadette. La différence s'explique par le fait que cette dernière monte 3 à 4 fois plus de chevaux que sa sœur. Bien entendu, je n'ai pas assisté à tous leurs concours, mais depuis 2014 et le début de ma retraite, je pense en avoir vu une moyenne de 15 à 20 (comportant souvent plusieurs épreuves) annuels.

J'adore mes filles, et les voir pratiquer leur job avec passion a toujours constitué une joie, leur engagement et leurs résultats une grande fierté pour moi. Par-contre, je n'ai jamais réussi à vaincre l'angoisse et la crainte (proportionnelles à la hauteur des obstacles à franchir) d'une possible chute. Comme beaucoup d'autres, leur sport n'est pas sans danger. Elles en ont conscience et en assument le risque. Ca fait partie de leur métier. Comme tout cavalier, en 20 ans de carrière elles ont connu diverses chutes (peu nombreuses), mais sans jamais se blesser gravement. Ceci jusqu'au 10 août dernier. Ce jour-là, c'est-à-dire hier :

Chaude après-midi d'été, enfin, après tant de pluie ! Je décide de monter sur l'alpage, à un endroit depuis lequel on bénéficie d'une splendide vue sur les Gastlosen, joyaux des Préalpes fribourgeoises. 18 heures. Temps magnifique, 22 degrés à 1'500 mètres d'altitude. La sonnerie de mon smartphone retentit. Mon (futur ?) gentil gendre est à l'autre bout d'un fil qui n'existe pas. Je prends la nouvelle en pleine poire. Incrédule, sans doute hagard, effaré, bouleversé, ko sur place. Ma voiture se trouve à dix minutes de marche, en raide descente, douloureuse pour mon genou gauche prothésé. Je passe dessus, et par tous les états d'âme, imaginant, redoutant, m'attendant aux pires scénarios. Je ne vois plus clairement où je mets les pieds. Voiture atteinte, en route pour 1 heure 20 de trajet, en survitesse (pas excessive) après avoir rejoint l'autoroute à Bulle. Arrivé à l'Inselspital de Berne (réputé être le meilleur hôpital du pays), je retrouve celui qui m'a informé et mon ex-femme, tous deux encore sous le choc. Les blessures de ma fille cadette sont très graves, mais son pronostic vital n'est heureusement pas engagé. Consciente mais dévastée, elle se trouve aux urgences, en soins intensifs, avec plusieurs fractures et ce que cela peut générer à l'intérieur du corps. Par miracle (parce que c'en est un !), sa colonne vertébrale ne semble pas touchée. Elle a chuté dans un concours secondaire, pour jeunes chevaux. Et sa monture en a fait autant (sans se blesser), lui retombant dessus. 600 kilos de muscles, d'os et de chair sur elle, 12 fois plus légère. Le cauchemar total ! Auquel je n'ai pas assisté, sans quoi je ne serais peut-être plus là pour l'imaginer et le conter si douloureusement…

Quatre jours après, et suite à deux opérations, son état est stable et en évolution favorable. Je pense qu'elle est très bien soignée. Hier après-midi (après plusieurs nuits sans grand sommeil ni appétit en ce qui me concerne), lors de ma quatrième visite à son chevet, j'éprouve alors l'un des plus grands bonheurs de ma vie : Céline m'a enfin adressé un sourire.

11 août 2021 ____________________________________________________

Quatre photos de son séjour de trois semaines à l'Inselspital de Berne.

Sur la première, elle m'adresse son premier sourire, après cet accident qui aurait pu lui coûter la vie. Quelle joie pour moi de la voir ainsi ! Le plus beau cadeau qu'elle m'ait offert au cours de ses 29 premières années de vie...

Avec sa soeur sur la 2ème.

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Trois photos de son séjour de deux mois et demi à la Clinique romande de réadaptation, située dans l'enceinte de l'hôpital de Sion.

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Enfin debout ! Même si c'est pour marcher avec des cannes...

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12 novembre 2021. Elle quitte le CRR et peut rentrer chez elle. Elle est heureuse et ça se comprend. Pour ma part, je le suis tout autant, mais je suis ému car cela marque la dernière des nombreuses visites que je lui ai rendues, toujours le vendredi après-midi, afin de la ramener chez elle pour qu'elle puisse y passer le week-end en comapgnie de son compagnon, le très gentil et attentionné Charly.

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Avant la fin de l'année, elle est à nouveau en selle ! Incroyable, suite un tel accident, et après les graves blessures qui en ont résulté. Son courage et sa volonté m'ont totalement épaté...

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